Tilise Leprince-Ringuet

TILISE LEPRINCE-RINGUET

Son roman : Aurelio Aurelia, extrait N°5

L’orgueil de Karl était extrême, sa séduction redoutable. Il me fascinait lorsque je le devinais, il m’envoûta quand je le connus. Dès lors je m’attachais à ses pas, me semblable à lui………Je crus mourir pour de bon. Le comte (Dreux) ne l’entendit pas (Karl) venir, trop occupé à me palper de ses doigts arthritiques, à tenter d’introduire……..Karl le souffleta à deux reprises violemment mais posément, avec un air de hauteur dédaigneuse impossible à dépeindre.

C’est, je crois, ce dédain splendide qui m’attacha d’emblée à celui qui allait être mon double et mon âme damnée durant plusieurs années : je vis la vertu humilier le vice, la bravoure flageller la lâcheté, saint Michel terrasser le dragon. Et la honte me quitta comme par magie……………………………………………Puis continuant d’avancer sur le comte, Karl le souffleta de nouveau, sans relâche, encore et encore.

Le comte était de petite taille et pliait sous les coups. Livide , les joues marbrées, il reculait ainsi jusqu’à l’escalier des Princes au bout du corridor où le sol se déroba sous son talon. Il partit à la renverse avec un grand cri : ce fût le dernier qu’il poussa………………………

-Pardonnez-moi, mais je ne le regrette en rien. La mort de François de Dreux lui fut douce, et rapide en regard des interminables agonies par lesquelles j’étais passé de son fait…………

………..mais les vicieux ont la peau dure. Je m’étonne, mon ami, de ne pas vous voir partager ma joie d’alors en me sachant libre et délivré de mon tyran…………..

Karl vint à moi, m’entoura l’épaule de son bras et m’entraîna vers l’issue opposée. L’intervention de mon nouvel ami ne fut dicté ni par l’indignation ni par la compassion, comme je le crus d’abord, mais par une sorte de fantaisie passagère…………….

Il me fallut longtemps pour voir le chevalier Von Rosen tel qu’il était : sans pitié, sans scrupules, et, quoique d’une autre guise, tout aussi perverti que mes bougres. Un ange, oui, mais un ange déchu……………..Karl, lui, aimait les femmes à la folie, ou plutôt il aimait les vaincre et les soumettre………..il me poussa sur le chemin de ses débauches où je le suivis avec griserie. En la matière, j’avais une longue revanche à prendre, et je la pris à perdre haleine sur les moindres jupons de passage….me payant d’avoir servi de femme moi aussi………..Nous courions les tripots, les cabarets, et malheur aux servantes ! Nous en usions comme d’objets et souvent partagions la même, tirant aux cartes qui la prendrait le premier avant de la livrer à l’autre…………………………..

………….j’avis vingt ans, vous le savez, à vingt ans on passe facilement d’un extrême à l’autre…….cependant, mon ami, je n’étais pas heureux.

-Certes, votre conscience…

-du tout, vous n’y êtes pas. Je n’étais pas heureux car j’avais peur.

-peur ?

-oui, j’avais beau m’étourdir, je vivais dans la crainte constante que l’un de mes trois bougres ne se laissât aller un jour ou l’autre à jaser sur mon passé…………….Un mot et j’étais perdu, car l’étiquette de sodomite vous coule plus sûrement que lèpre ou vérole…………….En quoi Beaujours, Malterre, et Mac Graw étaient-ils moins coupables que Dreux ? Ne m’avaient-ils pas, eux aussi, torturé à loisir de leurs diverses fantaisies ? Pouvais-je laisser courir indéfiniment trois témoins de ce calibre ?......................

Il me fallait donc agir mais par quels moyens ? comment expédier trois fois consécutives son prochain dans l’au-delà sans être soupçonné soi-même ?

C’est ce que vous saurez en lisant le prochain épisode.

………..A SUIVRE !……….