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30 mai 2015 6 30 /05 /mai /2015 05:41

~~ d'après AU BORD DU LIT de Maupassant

Le comte de Salure jeta son chapeau, ses gants, et sa fourrure sur une chaise, tandis que la comtesse, débarrassée de sa sortie de bal, rajustait un peu ses cheveux devant la glace. Elle se tourna vers son mari qui la regardait depuis quelques secondes et qui semblait hésiter à parler comme si une pensée intime l’eût gêné. Enfin, il dit :

-« Vous a-t-on suffisamment fait la cour Pendant cette soirée ? »

-« Me faites-vous une scène délibérée ? »

-« Non. Je dis seulement Que ce monsieur de Latour A été inconvenant. Si j’avais encore quelques droits sur vous, Je vous montrerais mon mécontentement. »

-« Comme je ne suis pas une imbécile, Je vois que vous ne pensez plus ce soir Comme vous pensiez il y a un an. Quand Vous aviez une maitresse. Je vous avais dit ma tristesse. À cette époque, vous ne vous occupiez pas De savoir si on me faisait la cour. N’est-ce pas ? Je crois même me rappeler Que vous aviez affirmé : ’’Le mariage n’est qu’une association d’intérêts, Un lien social Et non une attache morale. ’’ Vous m’aviez aussi confié : ‘’Ma maitresse est mieux que toi...elle est plus femme. Vous avez réellement dit : ''plus femme !’’ Vous vouliez que nous vivions séparés Et vous m’avez déclaré que je pourrais, Si je voulais, prendre un amant. Je vous ai répondu : ‘’Je comprends. Vous aimez madame de Bouraynes Et ma tendresse légale vous gêne.’’ Or, depuis un mois, vous me semblez réellement jaloux. Que pensez-vous de cette situation? »

-« Mon amie, je ne suis pas jaloux Mais…vous êtes jeune, vive, aventureuse… »

-« Si vous me croyez aventureuse, Faisons la balance entre nous deux. »

-« Ne plaisantez pas, je vous prie. »

-« Non. Vous m’aviez avoué votre liaison extra-conjugale, Cela m'a donné l’autorisation De vous imiter. »

-« Permettez… »

-« Laissez-moi vous parler franchement : Je n’ai pas d’amant… Je cherche,…Je ne trouve pas,…J’attends... Le jour où je trouverai, Vous serez cocu. »

-« Oh ! Comment osez-vous avoir de tels mots ? »

-« De tels mots ! Si vous trouvez plaisant le mot cocu Quand il s’agit de M. de Bouraynes Vous le jugez laid, plein de haine Quand il s’agit de vous. Je le savais bien : vous êtes jaloux. »

-« Je ne voudrais pas paraître ridicule … Mais si je vois encore ce monsieur Vous parler entre les seins ou sur l’épaule… »

-« Serait-ce de moi que vous êtes amoureux ? »

-« On pourrait l'être de femmes beaucoup moins jolies que vous. »

-« Tiens,… nous y voici !... Mais moi, je ne suis plus amoureuse de vous. »

Le comte s’était levé. Passant derrière sa femme, il lui a déposé un baiser sur la nuque. Elle se dressa d’une secousse et, le regardant au fond des yeux, dit :

-« Arrêtez ce genre de plaisanteries entre nous. Nous vivons séparés vous et moi, depuis des mois »

-« Je vous trouve ravissante ce soir. »

-« Êtes-vous bien à jeun ? »

-« Hein ? »

-« Quand on est à jeun, on a faim. Et on mangerait Même un plat…négligé. …Et vous aimeriez maintenant Vous le mettre sous la dent… »

-« Je suis redevenu amoureux de vous. »

-« Tiens ! Vous recommenceriez ? »

-« Oui, madame, avec vous. »

-« Ce soir ? »

-« Oui, ce soir. »

-« Mon cher, je reconnais…, Je suis votre femme, certes, …mais libérée. …J’allais justement prendre un engagement D’un autre côté. Mais si c’est la préférence que vous me demandez , alors, je vais vous la donner… Mais…attention...à prix équivalent. »

-« Que voulez-vous dire ? »

-« Suis-je aussi bien que vos putains ? »

-« Mille fois mieux. »

-« Mieux que la mieux ? »

-« Mille fois. »

-« La mieux, combien vous coûte-t-elle par mois ? »

-« Est-ce que je sais ? »

-« Cinq mille francs par mois ? »

-« Oui, environ, je crois. »

-« Donnez-moi cinq mille francs par mois Et je suis à vous dès ce soir. »

-« Vous êtes folle, ma chérie »

-« Ah ! Vous le prenez ainsi ?... Alors, bonsoir ! »

Le comte est entré dans la chambre et s’est assis dans un profond fauteuil. La comtesse lui dit : -« Ah ! Si c’est comme ça, Henri. Eh bien, tant pis pour vous ! »

La comtesse ôta son corsage lentement, dégageant ses bras nus et blancs. Elle les leva au-dessus de sa tête pour se décoiffer devant la glace ; et sous une mousse de dentelle, quelque chose de rose apparut au bord du corset de soie noire. Le comte se leva vivement et vint vers elle. La comtesse simula un ordre :

-« Ne m’approchez pas ! Entendez-vous ? »

Henri la saisit à pleins bras et chercha ses lèvres. Alors la comtesse s’empara du verre d’eau posé sur sa table de nuit et le lança au visage de son mari en ajoutant :

-« Vous savez mes conditions : cinq mille francs ! »

-« Comment… ? Payer pour coucher avec ma femme ? »

-« Oh ! Quels vilains mots ! »

-« Je le répète : payer sa femme , C’est idiot. »

-« Vous êtes bizarre ! vous avez une femme légale ...et Vous trouvez logique D’aller payer une gueuse. »

-« N'avez-vous pas honte De me demander cinq mille francs ? » -

« Non. Cela n’a rien d’étonnant Puisque nous sommes devenus étrangers L’un à l’autre... Pourquoi ne m’achèteriez-vous pas ? Au lieu d’aller je ne sais où, Votre argent resterait chez vous. Et puis, pour un mari Est-il quelque chose de plus amusant Que de payer sa propre femme ? Vous donneriez à notre union Une saveur de polissonnerie. Maintenant, sortez d’ici ! » La comtesse était presque nue maintenant. Le comte la regardait. Et brusquement il lui a lancé six billets.

-« Voilà six mille francs. Mais n’y revenez pas ! »

La comtesse ramassa l’argent, compta et dit :

-« Ne pas y revenir, mais pourquoi ? »

-« Ne vous y accoutumez pas. »

La comtesse éclata de rire et, allant vers son mari, ajouta :

-« Six mille, monsieur,…mais chaque mois. Sinon je vous renvoie à vos poules. …Et si vous êtes content de moi, Je vous demanderai De l’augmentation ! »

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