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11 février 2016 4 11 /02 /février /2016 03:31

L’épouse du Président

D’après LA CHAMBRE 11 (9 décembre 1884)

C’est dans l’armée que Mme Jeanson cueillait ses amants. Elle les gardait trois ans, le temps de leur séjour en garnison.

Elle n’avait pas d’amour, elle avait des sens. Dès qu’un nouveau régiment arrivait, elle prenait des renseignements sur les officiers de trente à quarante ans, car avant trente, on est parfois peu discret et après quarante, souvent, on faiblit.

Après avoir distingué celui qui l’aimerait, elle donnait un bal. Elle invitait l’officier, valsait avec lui, et le serrait comme pour se donner.

(Les femmes devraient toujours user de ce procédé pour nous annoncer leur besoin d’être aimée. Cela éviterait une perte de temps, des paroles superfétatoires et la répétition de pauvres compliments.)

Mme Jeanson profitait d’une danse au rythme moins vif pour murmurer tendrement à son cavalier :

-« Venez me retrouver mardi soir à neuf heures à l’hôtel de la Gare. Vous demanderez Mlle Cécile. Je vous attendrai. Surtout, soyez en civil. Je loue la chambre N° 11, à l’année. »

Pour ne pas être soupçonnée par son mari, elle usait du moyen suivant : tous les mardis soirs, elle se rendait à la réunion de bienfaisance organisée par la mairie et, rapidement,…la quittait.

Elle empruntait ensuite une ruelle mal éclairée et peu fréquentée. Là, elle remplaçait son chapeau à fleurs par un bonnet blanc et nouait à sa taille un vieux tablier à carreaux qu’elle avait caché dans son manchon. Puis, elle enveloppait ses vêtements de ville dans un grand torchon et, toute guillerette, se rendait à l’hôtel en trottinant, telle une bonne qui va faire une commission.

Qui donc aurait reconnu Mme Jeanson ?

Le patron de l’hôtel de la Gare, M. Darnel, lui-même, eut été bien surpris s’il avait appris

que sa cliente était Mme Jeanson, la femme du Premier Président Jeanson.

Voici pourtant comment un jour il apprit la vérité :

La chambre 11, étant libre des mercredis aux lundis suivants, Darnel la louait ces nuits-là à des clients de passage.

Un jour, le Premier Président, étant retenu à Paris jusqu’au jeudi, Mme Jeanson proposa à son amant :

-« Veux-tu aussi me rejoindre ici demain mercredi ? Si tu arrives le premier, mon chéri, ne m’attends pas. Mets-toi au lit. »

Le lendemain, un voyageur se fit servir dans la salle du restaurant de l’hôtel un copieux et très arrosé déjeuner. Au dessert, se sentant barbouillé, il demanda à se reposer.

Ses autres chambres étant occupées, Darnel lui attribua la chambre de Cécile.

À dix-huit heures, n’ayant pas vu redescendre le voyageur, il monta le réveiller. Mais, affolé, par ce qu’il venait de voir, il redescendait, aussitôt :

-« Dis donc Fernande, l’artiste de la chambre 11, il est mort ! »

Elle leva les bras :

-« Seigneur Dieu ! C’est-il le choléra ? »

-« Non, l’animal a plutôt eu une congestion cérébrale, vu qu’il était noir comme la lie du vin quand il est monté se coucher »

-« N’en parle point. Laisse-le dans son lit jusqu’à demain. I’ s’ ra bien temps d’ faire ta déclaration à la gendarmerie. » »

À neuf heures, comme préalablement convenu avec son amant, Mme Jeanson pénétrait dans la chambre 11. Elle se dévêtit et comme son amant ne disait mot, elle lui a demandé :

-« Dors-tu, mon gros lapin ? »

Puis, elle courut au lit, s’y glissa, et saisit à pleins bras le cadavre glacé. En découvrant un visage inconnu, Mme Jeanson frémit de la tête aux pieds, poussa de terribles cris, et s’enfuit nue dans le couloir de l’hôtel en continuant d’hurler.

Un voisin, effaré, lui demanda :

-« Qu’avez-vous, belle enfant ? »

Éperdue, elle a balbutié :

-« Dans…dans ma chambre…un macchabée ! »

Au même instant, le commandant, son cher amant, gravissait l’escalier. Mme Jeanson se jeta sur lui en criant :

-« Sauvez-moi, Gontran, il y a un mort dans notre chambre. »

Le capitaine de gendarmerie rendit au couple sa liberté très rapidement mais ne fut pas discret.

Le mois suivant, M. le Premier Président Jeanson recevait un avancement…et une nouvelle affectation.

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