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7 décembre 2015 1 07 /12 /décembre /2015 09:52

~~ Peine partagée, bonheur retrouvé

D’après HAUTOT PÈRE ET FILS (5 janvier 1889)

Ce dimanche-là, Hautot-père, veuf depuis des années, et son fils Robert avaient invité à une partie de chasse le percepteur M. Bordas et le notaire maître Caron.

Bordas demanda : -« Et le lièvre, y en a-t-il du lièvre ? »

-« Certes oui, dans les fonds. », répondit Hautot-fils en chargeant son fusil.

Sur le chemin, les cœurs des chasseurs battaient un peu. Leurs doigts nerveux tapotaient les détentes de leurs armes. En-tête de la petite troupe, Hautot-père épaula soudain et tira. Une perdrix s’écrasa dans un fourré, à quinze mètres environ. Le veuf s’élança pour chercher son gibier. De façon surprenante, un second coup de feu éclata peu après.

Robert s’écria : « Sacrebleu ! Papa, tu l’as trouvé, ton perdreau ? » Hautot-père ne répondit pas. En se baissant, il avait trébuché et lâché son fusil. Ce deuxième coup l’avait très grièvement blessé au ventre. Robert trouva son père couché sur le flanc, couvert de sang. Aidé par les deux invités, il le transporta jusqu’à la maison et l’étendit sur son lit. Après la visite du médecin, Hautot-père appela son fils et lui dit :

« Ça fait sept ans qu’est morte ta maman…Je ne me voyais pas rester veuf. L’homme n’est pas fait pour vivre seul, comprends-tu ? Alors, j’ai pris une petite à Rouen. Elle s’appelle Élodie Darfeuil. Elle était pour moi gentille, dévouée, aimante…Une vraie femme, quoi ! Tu saisis, mon gars ? »

-« Oui, père. »

-« Alors, quand je ne serai plus là, faudra lui donner de l’argent. Tu comprends? »

-« Oui, père »

-« Sans le souvenir de ta mère, je l’aurais épousée… Enfin…dès que j’ serai parti, va la voir. Elle demeure à Rouen, 28 rue Pierre Corneille. Vas-y un jeudi. C’est les jeudis qu’elle m’attend. Tu verras, elle t’expliquera ; je ne peux pas me confier davantage à toi maintenant. Allez ! Embrasse-moi, mon fils. »

Après d’atroces douleurs, Hautot mourut dans l’heure qui suivit. Le jeudi suivant, vers dix heures et demie, Robert prit l’omnibus pour Rouen. Il était désemparé à l’idée d’avoir à annoncer une si terrible nouvelle à l’amie de son père, enseveli la veille. Mais il pensait : ‘‘J’ai promis. Je dois me conformer à ses dernières paroles.’’ À midi, il sonnait à la porte du domicile d’Élodie. Une jeune femme brune, au teint frais ouvrit et lui demanda :

-« Vous désirez, Monsieur ? »

-« Je suis Hautot-fils »

Surprise, elle fit : « Monsieur Robert ? »

-« Oui… Je viens de la part de mon père…»

-« Entrez, je vous prie… »

Dès qu’il eut franchi le seuil, Robert remarqua trois couverts disposés sur la table et un enfant âgé de quatre ou cinq ans qui jouait assis par terre devant le fourneau où un plat restait au chaud.

-« Tenez, asseyez-vous là », lui proposa Élodie

-« Comment vous raconter cela ...? Un grand malheur est arrivé…dimanche… à la chasse… Mon père s’est tué accidentellement. »

À ces mots, Élodie éclata en sanglots. D’une voix adoucie, Robert reprit :

-« Écoutez-moi bien : Pour vous, il m’a laissé du bien. Et selon ses vœux, je vous verserai une bonne rente. Vous n’aurez rien à redouter pour votre avenir. Nous arrangerons cette affaire dès que vous pourrez. »

-« Oh ! Vous savez, si j’accepte, ce sera uniquement pour le petit. D’ailleurs, je mettrai les sous sur sa tête, je vous le promets. »

Robert, venait de saisir : ‘‘Il est donc à mon père, cet enfant !’’. Il regarda son jeune frère avec émotion puis reprit :

-« Je vais vous laisser car c’est l’heure de votre déjeuner. Quand voulez-vous que nous parlions de notre affaire ? »

-« Oh ! Non, ne partez pas, ne me laissez pas. Il est encore tôt. Oh ! Quel malheur. Quelle misère ! Je n’ai plus que mon petiot ! Parlez-moi encore un moment de votre père. Comment c’est arrivé ? Est-ce qu’il a souffert ?» Puis Élodie balbutia :

-« Mon pauvre petit gars, te voilà orphelin maintenant. »

-« Moi aussi. », ajouta tristement Robert. Puis l’instinct de ménagère se réveilla chez la jeune mère :

-« Voulez-vous rester et partager mon modeste navarin. »

-« Non, merci, je suis trop soucieux. » Elle insista. Il céda. En partant, Robert demanda de nouveau à Elodie :

-« Quand voulez-vous qu’on parle… » -

« Jeudi prochain, ça m’irait et vous resterez déjeuner si vous voulez bien. »

-« …Je n’ose vous le promettre. »

-« Mais si…On cause mieux en mangeant…On a plus de temps. »

-« Eh bien, soit ! D’accord, à jeudi midi. » Robert serra la main de la maman, embrassa l’enfant et sortit. Elle lui avait plu Élodie. Il voulait faire les choses en grand, lui donner une rente vraiment confortable. Et puis l’idée de ce frère, le fils de son père, le tracassait mais en même temps lui plaisait.

Le jeudi suivant, Rue Pierre Corneille, ils déjeunèrent longuement. Élodie trouva la somme d’argent proposée trop généreuse. Elle remit à Robert la pipe d’écume que son père avait oubliée chez elle lors de sa dernière venue. Hautot-fils la remercia et prit congé mais elle resta face à lui et demanda :

-« Alors, on ne se verra jamais plus ? » -

« Mais si, je veux bien. »

-« Alors, jeudi prochain, vers midi, ça vous irait ? Et vous déjeunerez, n’est-ce pas ? »

-« Oh ! Ma foi, oui, avec plaisir. »

-« Entendu. Alors, à jeudi ! » -

« Au revoir. À jeudi. Merci. »

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