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15 novembre 2014 6 15 /11 /novembre /2014 08:04

NOS ANGLAIS

Voici un journal de voyage

Trouvé par hasard dans un train. Je l’ouvris

Et j’en copie ici

Les dernières pages :

Ier février

Menton, capitale des poitrinaires,

Célèbre par ses tubercules pulmonaires.

Ces tubercules ne poussent pas dans la terre.

Mais dans l’homme…qui engraissera la terre.

Je cherche un hôtel.

On m’indique le Grrrrand Hôtel.

Ma chambre donne sur la rade.

Je sors. Je croise des malades

Promenés par des gens qui ont l’air de s’ennuyer.

Sept heures. Je vais dîner.

Le couvert est mis dans une vaste salle

Les uns après les autres, les clients s’installent.

Voici d’abord un Anglais,

Grand, maigre, rasé.

Il ne parait pas folichon.

Il me salue discrètement.

Je lui rends sa politesse de la même façon.

Entrent maintenant : trois dames, trois Anglaises,

La mère et ses deux filles assurément.

Elles portent sur leur tête un œuf à la neige.

Ces deux filles

Sont vieilles comme leur mère.

La mère

Est vieille comme ses filles.

Toutes les trois sont hautaines, minces, plates,

Leurs dents tournées vers l’extérieur

Font peur

Aux escalopes servies avec des pâtes.

Arrivent d’autres habitués,

Tous Anglais.

L’un d’eux est rouge et gros,

Avec des favoris roux ardent.

Je m’aperçois que les couvre-chefs-gâteaux

Sont en tulle mousseux blancs…

Toutes ces dames ont l’air

De conserves au vinaigre,

Bien qu’il y ait, parmi elles, cinq jeunes filles

Pas trop laides, mais plates, sans espoir visible.

Je songe aux vers de Louis Bouilhet :

Qu’importe ton sein maigre, ô mon objet aimé.

On est plus près du cœur quand la poitrine est plate ;

Et je vois comme un merle en sa cage enfermé,

L’amour entre tes os, rêvant sur une patte !

Surviennent aussi deux jeunes messieurs

Avec femmes et enfants. Ce sont des pasteurs.

Ils ont l’air plus sérieux que nos curés !

Dès que les convives sont au complet,

Le pasteur-chef prononce en anglais

Une sorte de long bénédicité.

La nourriture se trouvant consacrée

Au Dieu d’Albion, ils commencent à diner.

Les femmes sont roides et gourmées.

Le maître-pasteur

Cause à son voisin, le sous-pasteur.

Comme j’entends un peu l’anglais,

Je remarque avec stupéfaction

Qu’ils reprennent leur conversation

Sur les textes bibliques, commencée

Avant le dîner :

Je répandrai

De l’eau pour celui qui est altéré.

A dit Isaïe. Je l’ignorais.

J’ignorais aussi les vérités émises par Jérémie,

Malachie, Ezéchiel, et Gagachie :

Que celui qui a faim

Demande à manger.

L’air appartient

Aux oiseaux comme la mer aux poissons.

Le figuier produit des figues et le palmier

Des dattes. L’homme qui n’écoute pas

Ne retiendra pas.

Combien plus vaste et plus profond

Est notre grand Henry Monnier

Qui a fait sortir de la bouche d’un seul homme,

De l’immortel Prudhomme,

Plus de vérités

Que n’en ont répandues

Tous les prophètes réunis.

Lui, en face de la mer, s’écrie :

C’est beau l’océan, mais que de terrain perdu.

Ce sabre est le plus beau jour de ma vie.

Je m’en servirai

Pour défendre le Gouvernement

Et, au besoin, pour l’attaquer.

Le dîner fini,

On passe au salon silencieusement.

Soudain une dame s’installe an piano.

Je pensai : ‘’Ah ! un peu de miousique. Bravo !’’

Un affreux cantique est entamé.

Les femmes piaillaient.

Les vitres tremblaient.

Le chien de l’hôtel hurlait.

Je sortais.

Deux heures après, je rentrais.

…Les Anglais n’avaient pas fini de chanter.

En montant me coucher, je fredonnais :

’’ Je plains le Seigneur, Dieu d’Albion

Dont on chante la gloire au salon.

Si le Seigneur a plus d’oreille

Que son peuple fidèle,

S’il aime le talent, la beauté,

La grâce, l’esprit, la gaîté,

La bonne musique,

L’excellente musique,

Je plains le Seigneur

De tout mon cœur.’’

2 février.

Aussitôt levé, je demandai au patron :

-« Ce soir, les Anglais,

Vont-ils recommencer

Leur épouvantable distraction ? »

Il me répondit en souriant :

-« Oh ! non. Le dimanche seulement. »

Je pensais : ’Rien n’est sacré pour un pasteur,

Ni le sommeil du voyageur,

Ni son dîner, ni son oreille ;

Mais veillez à ce que chose pareille

Ne recommence pas, ou bien

Sans hésiter, je prendrai le premier train.’’

Le soir venu, j’assiste au même bénédicité.

Et au salon, à la fin du dîner,

La pianiste se met à jouer un quadrille.

Et voilà que dansent les jeunes filles

Les œufs à la neige tournent,

Tournent, tournent…

Et après le quadrille, une polka.

J’aime mieux ça !

3 février

Promenade. Ce pays est admirable.

Au dîner, je cause avec ma voisine de table.

Elle ne me répond pas (usage anglais ?)

Dans la soirée, bal anglais.

4 février

Excursion à Monaco.

Le soir : bal anglais.

J’y assiste en pestiféré.

5 février

Excursion à San Remo.

Le soir : bal anglais. Ma quarantaine s’éternise.

6 février

Excursion à Nice.

Le soir : bal anglais. Je décide

D’aller me coucher.

7 février

Excursion à Cannes (voir les guides).

Le soir : bal anglais. Je bois du thé.

8 février

Dimanche.

Grande revanche.

Je les attendais, ces gueux d’Anglais.

Je me glisse au salon avant le dîner,

Et mets dans ma poche la clé du piano.

Puis je dis au serveur :

-« Claudio,

Si messieurs les pasteurs

Demandent la clé,

Vous leur direz

Que je l’ai prise et vous les prierez

De venir me trouver. »

Après le dîner,

La tribu se dirige vers le piano.

Elle est atterrée.

Les œufs à la neige sont prêts de s’envoler.

On me regarde avec des yeux indignés.

Les pasteurs m’interpellent bientôt :

-« Mosieu, on me avé dit que vô avé

La clé de la piano.

Les dames les vôdraient

Pour nous les cantiques chanter. »

-« Je comprends la situation

Mais c’est une profanation

Que vous commetez.

On ne chante pas la gloire de Dieu

En s’accompagnant

D’un instrument

Qu’on a, la veille, utilisé

Pour distraire jeunes et vieux. »

Les pasteurs, abasourdis, se retirèrent

Et, sans piano, firent chanter

Leurs terribles prières

9 février

À la demande des Anglais,

Le patron de l’hôtel vient de me donner congé.

J’aperçois les pasteurs et vais droit sur eux :

-« Je serais désireux

De vous soumettre un cas

Que la Bible nous indique

Et qui trouble ma conscience de catholique :

L’inceste est abominable, n’est-ce pas ?

Pourtant, Loth, séduit par ses filles, succomba.

Or voilà

Que de ce double inceste sortit

Deux peuples, les Ammonites et les Moabites.

Et, Ruth, qui réveilla Booz endormi

Pour le rendre père, était une Moabite

Ruth, une Moabite,

Vint se coucher aux pieds de Booz, le sein nu,

Espérant on ne sait quel rayon inconnu.

Quand viendrait du réveil la lumière subite.

A écrit Victor Hugo. Ce rayon engendra

Obed, l’aïeul de David. Or, Jésus-Christ

N’était-il pas un descendant de David ?... »

Les pasteurs ne me répondirent pas.

Je poursuivis :

-« Parlons de Joseph, l’époux inutile de Marie,

Et de sa généalogie.

Joseph descendait d’un inceste, (mais pas le Christ.)

J’ajoute que lui et Marie, étant cousins,

Devaient avoir la même origine,

Les mêmes racines.

Faire dix pages de généalogie pour rien,

C’est scandaleux.

Nous nous abîmons les yeux

Afin de savoir que A. engendra B.,

Qui engendra C.

Qui engendra D., qui Engendra E., qui

Engendra F. Oh ! L’interminable scie !

Nous arrivons au dernier qui n’engendre pas.

Un comble de la mystification, n’est-ce pas ?

Alors, aussitôt,

Les pasteurs

Me tournèrent le dos.

Je prenais le train pour Paris à deux heures.

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